Jef Van Staeyen

Auteur/autrice : Jef Van Staeyen (Page 17 of 57)

pourquoi le nouveau siège de la Métropole Européenne de Lille est une erreur

Avec leurs lointaines réminiscences à l’architecture de Lucien Kroll, les façades du siège de la MEL expriment des individualités qu’on ne retrouve pas dans le plan de l’immeuble. Mais là n’est pas le sens de cet article.

 

Au risque de décevoir certains lecteurs, ce texte — pourquoi le nouveau siège de la MEL est une erreur — ne concerne ni l’architecture ni l’aménagement intérieur de l’immeuble, ni le choix de bureaux paysagers, tous des sujets sur lesquels je ne me prononce pas. Il ne concerne pas non plus le montage juridique et financier, et il ne concerne que de façon indirecte sa localisation. Ça, on verra.
En outre, ce texte au sujet du siège de la MEL pourrait aussi bien viser d’autres immeubles, d’autres sièges que celui de la MEL. Sauf que — distinction essentielle ! — la MEL est, avec les villes, le principal garant de la qualité urbaine dans la métropole. Et c’est là que ça pèche.

La MEL, tout comme d’autres territoires et métropoles, a remis à l’honneur l’objectif de mixité urbaine et sociale. Les villes, les quartiers, les projets sont appelés à présenter un intelligent dosage de fonctions et une diversité de populations. Les projets urbains de la MEL en témoignent. Même le quartier d’affaires Euralille, démarré il y a plus de trente ans, n’a jamais voulu être monofonctionnel, et cherche, à son échelle, à renforcer les mixités. Les raisons d’être de ces objectifs de mixité et de diversité sont multiples. Il s’agit entre autres de permettre à tous et à chacun, voire à tous types d’activités et d’initiatives, de trouver leur place dans la ville — personne ne doit être oubliée. Il s’agit d’atténuer les ségrégations, qui conduisent les populations à s’ignorer et à vivre dans des mondes séparés. Mais il s’agit aussi de faire vivre les quartiers et de donner du sens à leurs espaces publics. Or, dans nos villes d’aujourd’hui, ces espaces publics, même bien conçus, sont fragilisés dans leur fonctionnement. De nombreuses activités humaines — commerciales, productives ou d’interaction sociale — ont quitté les rues ou les espaces en contact direct avec elles, pour se retrancher à l’intérieur des immeubles. Une part importante des déplacements se sont motorisés, accélérés et encapsulés, supprimant toute interaction positive avec l’environnement urbain, et n’offrant qu’encombrement, bruit, poussière et autres pollutions. Aussi, les rythmes de vie peuvent avoir changé. Par conséquent, à l’exception de quelques espaces centraux ou de pôles d’échange, souvent à des horaires limités, les rues de la ville sont vides. Il leur manque la présence des gens et leurs interactions.
Il ne s’agit pas ici de dresser une image enchanteresse d’une société idéalisée dans laquelle les interactions quotidiennes entre les humains seraient sans cesse riches et pleines de sens. Il n’empêche que la simple co-présence de gens différents dans la rue est une qualité et un potentiel énorme pour la vie. Or les gens se sont enfermés.

paradis

Il est dès lors regrettable — mais tout-à-fait habituel au regard de certains critères d’aujourd’hui — que plusieurs centaines de personnes (un millier? ou combien?) s’enferment pour toute la journée dans un seul immeuble dont l’unique entrée est bien gardée, organisent la plupart des échanges liés à leurs activités, même diversifiées, au sein de ce même immeuble, et y trouvent nombre de services et de facilités. Tel un centre commercial comme paradis pour le commerce ou un village de vacances pour le tourisme, un siège de bureaux, comme celui de la MEL, se veut un paradis pour le travail. Il n’a pas besoin de la ville et, surtout, il n’y contribue que très peu. Il est, à sa façon — injure suprême — une gated community.

Les raisons de cette façon de faire pour les sièges de bureaux sont connues. Il y a la standardisation des produits, des surfaces et des techniques de construction, savamment habillés pour se différencier en apparence. Car ces immeubles sont commercialisables comme des produits financiers sur un marché mondialisé, et doivent pouvoir être comparés selon des critères simplifiés. Il y a le prestige des maîtres d’ouvrage, des architectes, des territoires, des acquéreurs et des occupants, qui s’expriment dans les architectures. Il y a le fonctionnement interne et l’assurance pour les chefs de réunir en un seul lieu tous les subordonnés. Il y a certaines attentes des salariés — et dans le cas présent, celles des élus — qui apprécient bien les facilités. Et il y a, de plus en plus, depuis une vingtaine d’années, des impératifs de sûreté: on ne mélange pas son immeuble à la ville, et on gardienne une seule entrée.

Ces logiques sont lourdes. Mais également lourdes de conséquences. N’est-il pas paradoxal que dans des projets urbains on est allé jusqu’à organiser la mixité fonctionnelle (commerces, bureaux, logements) et la mixité sociale (au sens de la mixité des statuts d’occupation et des niveaux de revenu) au sein même des immeubles (et pas seulement pour des immeubles juxtaposés dans une même rue), et que parallèlement on construit, y compris pour ses propres besoins, des immeubles monofonctionnels de plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés, remplis de centaines (ou de milliers ?) d’agents.  [30.000 m² pour le siège de la MEL; les documents institutionnels mentionnant avec précision les 750 arbres et arbustes plantés sur le toit, mais ne parlant nulle part (!) du nombre de personnes qui y travailleront concomitamment… Est-ce une forêt qu’on construit, ou un lieu de travail et de démocratie locale?]
Quelle ville est-ce que ça fait, cette succession de façades stériles que sont Lille Grand Palais, le siège de la MEL et celui de la Région?

vase clos

Est-il illusoire de vouloir des bureaux qui se mélangent davantage à la ville? Qui contribuent à l’animation (je déteste le mot, mais ne trouve rien d’autre) des rues. La ville, peut-elle entrer dans les bureaux — surtout quand ils appartiennent à des institutions publiques — et les bureaux dans la ville? N’était-ce pas, quelque-part, l’ambition d’Émile Dubuisson quand il conçu un hôtel de ville pour Lille — qualité certes disparue depuis? Les vieilles universités, qui constituent des quartiers entiers, mélangés à la ville, mélangés à d’autres fonctions, d’autres formes urbaines et d’autres gens (!), peuvent-elles être un exemple à suivre?

Bon, je comprends que la MEL ait préféré suivre les voies tracées. Par ailleurs, on ne doit oublier que son nouveau siège a d’abord été pensé pour accueillir une institution européenne prestigieuse, l’Agence européenne du médicament, AEM, qui sans doute ne cherchait pas particulièrement les interactions avec la ville. Le Biotope, car c’est son nom, devait être un vase clos, comme dans un labo. Au regard de la façon dont l’Europe gère ses projets, la candidature de Lille était un coup qui aurait pu réussir. Or, Union européenne ne semble pas rimer avec qualité architecturale et urbaine — visitez ses capitales. À certaines occasions, ses institutions n’hésitent même pas à s’opposer pour elles-mêmes à des exigences de qualité qu’elles préconisent pour d’autres. Et, décider l’implantation de quelques institutions clefs (l’Agence bancaire européenne et cette AEM) à travers un concours de Darwinisme territorial favorise le conformisme hors-sol et, surtout, est la pire solution qu’aurait pu trouver une institution qui par ailleurs prétend s’occuper de développement et d’équilibre des territoires. Mais là, ce n’est même pas de Lille, mais de Bratislava qu’on parle, et de comment associer l’Europe Centrale à l’Union.

Donc, tout s’explique et tout se comprend, mais le regret d’une occasion ratée reste. Les pouvoirs publics, et surtout ceux en charge de l’urbanisme, à Lille et ailleurs, qui existent par et pour la ville, devraient s’interroger sur leur propre place dans la ville, et sur les contributions qu’elles pourraient avoir à son fonctionnement quotidien et à sa qualité.

 

Tourcoing, capitale des mobilités douces

Publier de nouveaux articles est un peu plus simple, ces jours-ci, y compris pour des projets plus anciens — j’ai profité d’un passage récent à Lille, le 13 mars, pour passer par Tourcoing, mais dois constater que je pensais avoir des photos du chantier même, que je ne retrouve pas.
:-)

 

 

(cliquez sur l’image)

bravo pour ces femmes ❧

Aujourd’hui n’est pas la journée internationale des femmes. Toutefois, je réunis ici ces quelques pensées: bravo pour ces femmes. [À vrai dire une traduction incomplète d’un texte néerlandais. Incomplète, car le texte original renvoie parfois vers d’autres textes… en néerlandais.]

  • Bravo pour les femmes qui par leurs accusations et leurs témoignages ont fait vaciller et puis chuter le prédateur sexuel H.W.  Cela doit leur avoir demandé beaucoup de force et de courage, et leur fait revivre d’immenses souffrances, mais ce qu’elles ont réalisé et mis en mouvement est impressionnant. Les dérives qui se sont produites en marge du spin-off de leur action ne doivent leur être imputées.
    [Suit le conseil de lire Missoula que l’auteur Jon Krakauer, mieux connu pour Into the Wild, a publié en 2015, au sujet de viols et de leur traitement, ou absence de traitement, par les tribunaux et les pouvoirs publics et universitaires de Missoula, dans le Montana. Les Presses de la Cité ont publié une traduction française en octobre 2016 sous le titre Sans Consentement. À partir de la traduction néerlandaise, qui était sortie en janvier 2016, j’avais, pour ma part, écrit une brève synthèse, publié sur ce site. Entre 2011 et 2014, des femmes comme Cecilia Washburn (victime, un pseudonyme) et Gwen Florio (journaliste au quotidien local Missoulian) ont fait à Missoula, mais pas toujours atteint, ce que d’autres ont réalisé à l’échelle mondiale entre 2017 et aujourd’hui, voire au-delà. Le livre permet de comprendre ce qui, à une puissance carrée, a été en jeu à Manhattan.]
  • La Belgique a un gouvernement, constitué de deux femmes: Sophie Wilmès et Maggie De Block, la première comme chef de gouvernement, la seconde comme ministre de tout ce qui compte vraiment: la santé publique. [C’est Pierre Kroll, il y a quelques jours, dans Le Soir, qui a attiré l’attention dessus.] À l’image de Gerald Ford, devenu président des États-Unis par un jeu de chaises, Sophie Wilmès a fini par devenir Premier Ministre de la Belgique, la première femme à cette place de la hiérarchie politique  [pas très démocratique comme processus, faut dire]. Sans doute n’a-t-elle jamais pensé qu’elle devrait piloter le pays à travers la pire crise qu’il a connue depuis le début des années 1960.
    Maggie De Block est médecin et, depuis octobre 2014, ministre des affaires sociales et de la santé publique. Depuis le départ de la N-VA du gouvernement fédéral, le 9 décembre 2018, elle a également le portefeuille de l’asile et de la migration (qu’elle avait déjà eu de 2011 à 2014), où elle doit remettre droit ce qui les années passées a été mis de travers.
    C’est ces deux femmes qui actuellement rassemblent les forces du pays en imposent les décisions nécessaires pour réduire les dégâts humains et matériels et les souffrances que le Coronavirus peut causer. Les affaires courantes courent vite de nos jours.
    [Complément: Quelques jours après la rédaction de ce texte, des critiques se sont exprimées au sujet du manque de masques de protection, et sur le parcours hasardeux des nouvelles livraisons, un problème auquel sont confrontés, outre la Belgique, de nombreux pays voisins.]
  • Entretemps, Ursula von der Leyen (de point de vue politique pas vraiment ma tasse de thé, et dont la fonction résulte également d’un marchandage politique) peut essayer de mettre d’accord les institutions européennes et les 27 pays membres pour des sujets aussi simples que le Brexit (les tractations actuelles sont plus importantes que ce qui a été négocié auparavant), un nouveau budget (qui doit être ambitieux et économe), une transition verte, un conflit avec la Turquie et des mésententes avec les États-Unis, des réfugiés de guerre en Grèce et à la frontière grecque, une population de plus en plus méfiante, une économie traînassante et maintenant… la crise du Corona. [Mais peut-être certaines solutions deviennent-elles plus faciles à identifier et à mettre en œuvre quand on voit les problèmes ensemble.]
  • Et, puisque je suis sur ma lancée, je suggère la lecture (oui, en néerlandais) de la chronique de Mia Doornaert dans De Standaard du 5 mars 2020: Generatie Watjes — Génération Chouchoutée. Les Jeunes qui de nos jours agissent [une regrettable généralisation, je trouve], dans le domaine de la culture, de l’université, des médias ou de la pensée, ne veulent pas, comme en soixante-huit, ‘interdire d’interdire’, mais plutôt baillonner autant de monde que possible.
    C’est une réaction courageuse, pertinente et bienvenue à tant d’actions récentes de censure, d’Ottawa via Paris jusqu’à Bruxelles — elle aurait pu mentionner Lille. Mais j’aurais préféré que parlant de l’attitude des jeunes, elle n’y inclue pas ce qu’elle considère comme le simplisme fanatique de la mobilisation pour le climat, incarné par Greta Thunberg. (tiens, encore une femme !)
    [En passant, elle mentionne le livre, alors annoncé, mais publié depuis, de Caroline Fourest, Génération offensée: de la police de la culture à la police de la pensée.]
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